Le symbole du cheval dans les courses hippiques révèle une dimension fascinante de ce sport ancestral. Sur un seul après-midi à Paris Longchamp, jusqu’à 100 chevaux participent à 9 courses différentes, avec un départ toutes les 30 minutes, créant un spectacle aussi intense que rythmé.
Dans ce monde où les enjeux financiers sont considérables – l’entretien annuel d’un cheval de course peut dépasser les 40 000 euros – la symbolique du cheval transcende largement la simple compétition sportive. Le prestigieux Durban July en Afrique du Sud, rassemblant jusqu’à 50 000 spectateurs, illustre parfaitement cette fusion entre tradition et superstition.
Dans cet article, nous explorons ensemble les croyances et rituels qui entourent ce sport millénaire, en nous demandant si ces pratiques relèvent du mythe ou de la réalité tangible.
Depuis l’Antiquité, le cheval occupe une place symbolique privilégiée dans nos civilisations, bien avant sa domestication. Les recherches archéologiques établissent qu’il fut l’animal le plus représenté dans l’art pariétal dès le XXXVe millénaire avant J.-C., témoignant de son importance primordiale.
La vénération ancestrale du cheval, connue sous le nom de « culte du cheval », remonte à l’âge du fer, voire à l’âge du bronze dans certaines régions. Ce culte, principalement associé à l’espace indo-européen, turc et altaïque, a profondément influencé nos traditions et superstitions hippiques actuelles.
Les premières superstitions équestres puisent leurs racines dans des rituels sacrés. Dans la Rome antique, l’Equus October était une fête religieuse célébrée le 15 octobre en l’honneur de Mars. Durant cette cérémonie, le cheval de droite du char victorieux était sacrifié d’un coup de javelot – seul sacrifice équin pratiqué à Rome. Sa queue était ensuite soigneusement conservée comme substance purificatrice.
Par ailleurs, les Romains organisaient régulièrement les « Équirries », courses de chevaux rituelles au Champ de Mars visant à purifier les équidés et garantir de bonnes récoltes, tout en devenant symboliquement la saison guerrière.
En Asie centrale, la dimension spirituelle du cheval était encore plus prégnante. Les Saxons consultaient leur « cheval sacré » avant les batailles, interprétant la patte posée en premier à la sortie du temple comme un présage décisif pour l’issue du combat.
La symbolique des couleurs équines a également traversé les siècles. Le cheval blanc, associé à la divinité et à la prospérité, portait chance tandis que le noir, traditionnellement lié aux corbillards, symbolisait malheur et mort.
Cet héritage symbolique explique pourquoi, aujourd’hui encore, le monde des courses hippiques reste imprégné de superstitions. Le maréchal-ferrant lui-même était considéré comme détenteur d’une magie contre la sorcellerie, et le fer à cheval est devenu un puissant talisman dont l’efficacité varie selon son orientation: en « U » pour conserver ses pouvoirs, en « C » pour évoquer le Christ ou le croissant lunaire.
Ces croyances ancestrales, bien qu’évoluant au fil du temps, continuent d’influencer subtilement les comportements sur les hippodromes modernes.
Sur les hippodromes français, les rituels rythment chaque jour de course avec une précision quasi religieuse. Tout commence bien avant l’arrivée du public, dans un calme étonnant malgré l’intensité des activités. Les chevaux doivent s’installer dans les boxes de l’hippodrome au moins deux heures avant leur course, surtout si l’événement se déroule loin de leur centre d’entraînement habituel.
Le « rond de présentation » constitue sans doute l’un des rituels les plus emblématiques. Ce moment solennel permet au public et aux parieurs d’apprécier l’allure des chevaux avant la course. C’est une vénérable tradition du sport hippique qui s’inscrit dans une chorégraphie parfaitement orchestrée.
Les relations entre les chevaux et leurs soigneurs représentent un autre aspect fondamental de cette symbolique. Les « lads », compagnons quotidiens du cheval de course, établissent avec l’animal des rapports d’une complicité particulière. Cette proximité éclairée rassure le cheval et permet de mieux comprendre ses réactions, voire de pouvoir détecter tout signe de stress ou de malaise.
Par ailleurs, certaines superstitions persistent fermement dans ce milieu. Notamment, le rituel consistant à piétiner une nouvelle casaque avant sa première utilisation illustre parfaitement cette dimension mystique. Comme en témoigne l’expérience du jockey Kévin Nabet qui s’est exécuté avant de participer au Prix Wild Monarch à Auteuil – la casaque ayant brillé d’entrée de jeu.
Après chaque course, d’autres protocoles s’enchaînent : le contrôle anti-dopage (obligatoire pour le gagnant et au moins un autre cheval choisi aléatoirement), la douche, et une marche de récupération d’environ 25 minutes. La « tolérance zéro » s’applique concernant les substances dopantes ou médicales, garantissant ainsi l’intégrité du sport.
Dans les écuries, les jours suivants une course sont aussi ritualisés : les chevaux sont généralement sortis en main ou au marcheur, profitant parfois des paddocks pour se détendre. Cette attention constante au bien-être est un témoignage de respect profond envers cet animal mythique dont la symbolique transcende la simple compétition sportive.
Les superstitions hippiques ont franchi les frontières, portées par l’expansion coloniale britannique qui a exporté ce sport aux quatre coins du monde. Aujourd’hui, chaque grande nation hippique possède ses propres rituels, témoignant de l’adaptation culturelle unique de la symbolique équestre.
Au Royaume-Uni, berceau des courses modernes, la tradition règne en maître. Les courses d’Ascot, créées en 1711, imposent un code vestimentaire strict : chapeau haut-de-forme et queue-de-pie pour les hommes, chapeau obligatoire et tenue « juste au-dessus du genou » pour les femmes dans l’enceinte royale. Ce rituel vestimentaire remonte au XIXe siècle, instauré sur proposition de Beau Brummel, ami du prince régent. Chaque journée débute par une procession royale avec l’arrivée de la reine en calèche, marquant la dimension profondément traditionnelle de l’événement.
Au Japon, la dimension spirituelle est omniprésente. Le cheval occupe une place privilégiée dans le shintoïsme comme monture sacrée des kami (divinités). À Osaka, la tradition du Ao-uma shinji veut qu’on voie un cheval blanc au commencement de la nouvelle année. Les uma dashi matsuri, festivals où le cheval sert de monture aux divinités, perpétuent cette symbolique sacrée. Parallèlement, l’industrie hippique moderne, établie depuis 1862, a propulsé le Japon au 3ème rang mondial du classement hippique.
Aux États-Unis, le Kentucky Derby, créé en 1875, illustre l’importance des rituels. Le Mint Julep (cocktail de bourbon, menthe et sucre) est devenu la boisson officielle de l’événement, tandis que les femmes arborent leurs plus beaux chapeaux. La Triple Couronne (Kentucky Derby, Preakness Stakes et Belmont Stakes) constitue une quête mythique que seuls douze chevaux ont accomplie.
En Thaïlande, bien que l’éléphant domine l’imaginaire collectif, les croyances anciennes vénéraient des esprits-chevaux bienfaisants, tandis que l’astrologie chinoise introduit le cheval parmi ses signes zodiacaux.
Cette diffusion mondiale des courses a créé un marché global dominé par l’Asie (Japon, Australie, Hong Kong), le Royaume-Uni, les États-Unis et la France, avec des rituels qui transcendent les cultures tout en conservant leurs spécificités locales.
Les superstitions et rituels hippiques, loin d’être de simples vestiges du passé, continuent d’enrichir ce sport millénaire. Effectivement, nous constatons que ces pratiques ancestrales se sont adaptées aux exigences modernes tout en conservant leur essence spirituelle.
À travers le monde, ces traditions témoignent d’une vérité fondamentale : le cheval demeure bien plus qu’un simple athlète de compétition. Des boxes d’Auteuil aux tribunes d’Ascot, en passant par les cérémonies shintoïstes du Japon, chaque culture apporte sa touche unique à cet héritage commun.
Les rituels contemporains, qu’ils soient pratiques ou symboliques, rappellent notre lien profond avec cet animal noble. Cette alliance entre tradition et modernité fait la force des courses hippiques, créant une expérience unique où superstition et performance sportive coexistent en harmonie.
Ainsi, plutôt que d’opposer mythe et réalité, nous voyons comment ces deux dimensions s’entremêlent subtilement pour enrichir ce sport fascinant, préservant un patrimoine culturel inestimable qui transcende les frontières et les époques.